Les interprètes Sylvio Arriola, Marc Béland et Stefan Verna suaient. L’épuisement est remarquable. Le moins qu’on puisse dire, Voyage(s) est une pièce éprouvante, l’a t-elle été pareillement pour le public ?
C’est une œuvre multidisciplinaire dans laquelle Radwan Moumneh a performé une musique inédite spécialement créée pour la pièce, et les acteurs ont brillamment redessiné l’espace scénique par leurs corps comme saisis par un état de transe infini.
Le parterre de la scène est recouvert de sable blanc dessiné de motifs semblables aux jardins japonais. Une installation rudimentaire de poutres métalliques munie de projecteurs occupe le centre. D’autres projecteurs sur mats amovibles sont tirés par les acteurs pour remodeler le volume de la scène abstraite, trop abstraite jusqu’au bout des actions qui l’ont animé.

Crédit photo Joseph Elliot Israel Gorman
Quand c’est trop abstrait, comment peut-on suivre et adhérer à la représentation ?
L’espace de la parole est réduit, composé par un récit de soi minimaliste, des monologues espacés en langues française, arabe et espagnole et des bribes de phrases mâchonnées, répétées, le tout jeté dans une scénographie lumineuse centrée sur les déplacements des interprètes.
Si quelques connotations sur le temps, le souvenir, l’aliénation et la vie suggèrent un rapport avec le titre, la représentation narrative est quasi-absente pour que l’on puisse imager, imaginer des situations concrètes, penser avec une quelconque histoire ou un texte littéraire. S’agit-il d’une composition visuelle embrassant l’espace-temps théâtral où les mots sont distribués comme des graphismes, car on retrouve le même effet de motifs asignifiants et redondants dans le jeu ?
Pendant toute la représentation se sont mêlés musique concrète, composition de oud et les essoufflements presqu’ininterrompus des interprètes. La superposition de la dissonance et du rythme dans le fond sonore est aussi l’effet plastique engendré par l’approche interartiale.
Le sens flotte autant autour des mouvements abstraits en ritournelle des interprètes que dans l’absence de relations entre leurs différents jeux et performances chorégraphiques. Le seul lien qu’on puisse y constater, c’est qu’en gesticulant frénétiquement ou dans une fatigue caricaturale, parfois improbable certainement pas dans le deuxième degré, ils font du surplace.
Le public s’est trouvé nulle part, face à des personnages dépourvus de caractères, seuls leurs mouvements suggèrent des sujets saisis par une condition indéchiffrable incessante, intenable. C’est la condition même du récepteur ne pouvant ni jouir d’un moment esthétique, ni saisir le différent dans le répétitif. Le malaise de l’attente est troublant jusqu’à la fin.
Le dramaturge et metteur en scène Hanna Abd El Nour a voulu peut être confronter le public à l’immuable et l’absence de dénouement. Jusqu’à quel point peut-on pousser les capacités attentionnelles du récepteur, surtout lorsque le genre qu’on propose est un poncif de la scène théâtrale depuis des lurettes ?
Le fait de reprendre l’idée d’interroger le rapport à l’œuvre d’art n’est pas le problème, l’idée de reprendre le même genre ne l’est pas non plus, c’est le fait de déconstruire la communication entre l’œuvre et le public par le même moyen, soit l’ennui, qui est lui même ennuyeux, insupportable. Le fait même de justifier cette situation par la crise de l’art contemporain est fatiguant.
Voyage(s) joue à La Chapelle jusqu’au 3 février.